Prévention et traitement des difficultés post-Covid : le rôle majeur de la gouvernance des associations et fondations
Points de vue d’expert | 14 octobre 2020
Les difficultés financières se caractérisent[1] par la détérioration des équilibres fondamentaux. La gouvernance doit être en capacité de les évaluer et de prendre les décisions qui permettent d’assurer la continuité de l’activité, notamment à titre préventif.
Difficultés financières
Les prémices des difficultés financières des organisations apparaissent lorsque les équilibres fondamentaux ne sont plus respectés. Cela se traduit notamment par la dégradation de la trésorerie (augmentation de l’endettement, difficultés à rembourser les emprunts, retard de paiements des fournisseurs et des charges sociales), des déficits récurrents dépassant la moitié des fonds propres, des fonds dédiés encaissés supérieurs à la trésorerie, des plans de trésorerie non mis à jour et une absence de visibilité des encaissements des financements à 12 mois. Face à ces indicateurs, des actions internes doivent être entreprises sur la trésorerie (reports d’échéance, consolidation ou obtention de prêts), sur les économies (réduction des coûts, mise au chômage partiel), sur le financement des activités (révision des prévisionnels et de leurs hypothèses).
Des dispositifs juridiques permettent aux associations de bénéficier d’un cadre de prévention des difficultés financières et de disposer d’un certain nombre d’outils pour leur traitement. La gouvernance se trouve alors en première ligne dans la prise de décision, parfois de survie mais aussi stratégique, et sa responsabilité est à la hauteur de ces enjeux.
Prévention des difficultés financières
États financiers spécifiques
La loi du 1er mars 1984 relative à la prévention et au règlement amiable des difficultés des entreprises a prévu un ensemble de dispositions applicables aux associations ayant une activité économique[2], parmi lesquelles, pour celles qui soit emploient au moins 300 salariés, soit dont les ressources sont supérieures à 18 millions d’euros, l’obligation d’établir une situation de l’actif réalisable et disponible et du passif exigible, un compte de résultat prévisionnel, un tableau de financement et un plan de financement[3].
Ces documents sont analysés dans des rapports écrits sur l’évolution de l’association, établis par l’organe chargé de l’administration. Ils sont communiqués simultanément aux représentants du personnel, à l’organe chargé de la surveillance lorsqu’il en existe un et au commissaire aux comptes chargé de formuler des observations dans un rapport transmis à l’organe qui l’a établi et aux représentants du personnel[4].
Ces documents permettent de présenter la situation financière rétrospective et prospective de l’association, sous la responsabilité de la gouvernance, et de mettre en perspective les équilibres financiers et les modalités de financement. Une attention toute particulière doit être portée aux hypothèses retenues pour l’établissement des états prévisionnels et aux commentaires qui les accompagnent.
Procédure d’alerte
Le commissaire aux comptes si l’association en est pourvue, le comité social et économique (CSE) si l’association emploie au moins 50 salariés ou le président du tribunal judiciaire[5] peuvent déclencher une procédure dite d’alerte lorsqu’ils relèvent des faits ou difficultés de nature à compromettre la continuité de l’exploitation de l’association ou d’affecter de manière préoccupante sa situation économique.
Dans le cadre de la procédure déclenchée par le commissaire aux comptes, le président de l’association est en premier lieu concerné et doit lui fournir des explications de manière écrite. Ces explications sont accompagnées des mesures correctives que le président envisage de prendre. À défaut de réponse ou si les mesures ne semblent pas adaptées à la situation, le commissaire aux comptes invite le président à convoquer l’organe collégial chargé de l’administration de l’association afin de délibérer sur les difficultés constatées et les solutions pour y remédier. À ce stade, le président du tribunal judiciaire est également informé de la procédure engagée. À défaut de délibération ou si, en dépit des décisions prises, la continuité de l’activité semble toujours compromise, le commissaire aux comptes demande la convocation d’une assemblée générale de l’association. Le président du tribunal judiciaire est informé de la situation si celle-ci, à l’issue de la tenue de cette assemblée ou à défaut de réunion, demeure compromise.
Le CSE, quant à lui, peut inviter l’employeur à lui fournir des explications et inscrire sa demande à l’ordre du jour de sa prochaine séance. De la même manière, si les réponses sont estimées insuffisantes, le CSE établit un rapport qui est transmis au commissaire aux comptes.
S’agissant de la procédure préventive initiée par le président du tribunal judiciaire, celle-ci prend la forme d’une convocation du président de l’association à un entretien au cours duquel il doit exposer les mesures propres à redresser la situation. À l’issue de cet échange – ou à défaut –, le président du tribunal judiciaire peut obtenir des informations sur la situation financière de l’association auprès du commissaire aux comptes, du CSE, des administrations publiques et de la Banque de France.
Pour toutes ces procédures, la gouvernance est mobilisée et, en premier lieu, le président. Les décisions qui seront alors prises seront actées durant leur déroulement.
Traitement des difficultés financières
Différentes procédures judiciaires à l’initiative de la gouvernance des associations sont prévues pour le traitement des difficultés financières. Elles sont similaires à celles applicables aux sociétés commerciales.
Échelonnement judiciaire ou délai de grâce
Tout débiteur peut saisir le tribunal judiciaire afin de solliciter un report ou un échelonnement d’une dette sur un délai maximal de deux ans[6]. Cette décision est opposable à tout créancier, sauf pour ce qui concerne les salaires[7] et les organismes sociaux[8] et, par extension, toutes les administrations. En conséquence, la décision du juge suspend les procédures de recouvrement qui auraient été engagées par le créancier et les majorations d’intérêts ou les pénalités ne sont pas encourues pendant le délai fixé par le juge. Ce dispositif, souple, remanié en 2016[9], est relativement méconnu.
Intervention des pouvoirs publics
La commission départementale des chefs des services financiers (CCSF) réunit les représentants des créanciers publics : directeurs des services fiscaux, de l’Urssaf et des représentants des différents régimes sociaux obligatoires. Elle est présidée par le directeur départemental des finances publiques. Les échéanciers qu’elle accorde sont adoptés par décision collégiale de l’ensemble des membres pour une durée pouvant dépasser une année. Lorsqu’un plan est accordé, l’entreprise effectue chaque mois un virement unique auprès de la direction départementale des finances publiques (DDFiP) qui procède à la répartition entre les créanciers concernés. La CCSF peut être saisie directement à l’initiative de l’association ou dans le cadre d’une procédure de mandat ad hoc, de conciliation ou de sauvegarde.
Mandat ad hoc
Le mandat ad hoc est une procédure souple et confidentielle, mise en œuvre au stade de la prévention, ouverte aux organisations qui ne se trouvent pas en état de cessation des paiements.
Le mandataire ad hoc est nommé par le président du tribunal judiciaire à la demande d’une association pour une mission limitée dans son objet et dans le temps[10]. Il peut notamment intervenir dans un contexte conflictuel ou dans le cadre d’une négociation ou d’une médiation avec un ou plusieurs créanciers. À l’issue de sa mission, le mandataire ad hoc rend un rapport et, s’il s’agissait d’un différend résolu, le président du tribunal judiciaire peut rendre une ordonnance de constatation de l’accord. Le rapport et l’accord ne sont pas rendus publics. Cette intervention ne permet pas d’imposer une solution à un créancier.
Conciliation
La procédure de conciliation prévue par le code de commerce[11] consiste en la désignation d’un conciliateur chargé de favoriser la conclusion d’un accord amiable entre une association et ses principaux créanciers afin de mettre fin à des difficultés économiques ou financières, avérées ou prévisibles, à condition que l’association ne soit pas en cessation des paiements depuis plus de 45 jours.
Le président du tribunal judiciaire ouvre la procédure à la demande d’une association et nomme le conciliateur pour quatre mois. La conciliation ne suspend pas les poursuites des créanciers contre l’association ; ceux-ci, en revanche, ne peuvent pas demander son redressement ou sa liquidation judiciaire. La mission du conciliateur débouche en principe sur un accord qui peut être rendu public par homologation du tribunal.
Sauvegarde
La procédure dite collective de sauvegarde, également prévue par le code de commerce[12], est destinée à faciliter la réorganisation de l’entreprise afin de permettre la poursuite de l’activité économique, le maintien de l’emploi et l’apurement du passif. Elle est ouverte par le président du tribunal judiciaire sur la demande du représentant de l’association qui, sans être en cessation des paiements, justifie de difficultés qu’elle n’est pas en mesure de surmonter. S’ouvre une période d’observation pendant laquelle les éventuelles poursuites des créanciers et passifs sont gelés et les pouvoirs de la gouvernance réduits : les dettes ne peuvent être payées ni les éléments d’actifs cédés. Les contrats continuent de produire leurs effets, sauf lorsqu’un administrateur judiciaire a été nommé et qu’il en décide autrement.
À l’issue de cette période d’observation, la procédure de sauvegarde donne lieu à un plan de sauvegarde arrêté par jugement, avec ou sans arrêt partiel de l’activité. Si l’association ne peut pas être sauvegardée, le tribunal peut alors la mettre en redressement ou en liquidation.
Durant toute la durée du plan de sauvegarde, la gouvernance de l’association reste en place. Toutefois, ses pouvoirs sont de nouveau limités, certains actes étant réservés à l’administrateur judiciaire nommé à cet effet.
La gouvernance peut donc prendre l’initiative, avant l’état de cessation des paiements, d’une procédure amiable ou judiciaire avec un ou plusieurs créanciers, ou collective avec l’ensemble des créanciers, avec plus ou moins de communication autour de sa situation financière. Elle doit le faire en connaissance des capacités de l’association à se redresser, à consolider ses financements, et selon la nature des créanciers et des relations que l’association entretient avec eux.
Responsabilité civile des dirigeants : la faute de gestion
D’une manière générale, tout dirigeant commet une faute lorsqu’il exerce ses fonctions sans rigueur, prudence, loyauté ou diligence[13]. Cependant, la faute de gestion ne fait l’objet d’aucune définition légale ; elle est à l’appréciation du juge. Elle n’implique pas obligatoirement une action volontaire et peut aussi être caractérisée par une négligence ou une décision imprudente. Ainsi, commet une faute un président d’association en n’exerçant aucun contrôle sur la gestion financière d’une association[14] ou un trésorier s’abstenant de suivre les comptes bancaires de l’association[15]. Contracter des emprunts disproportionnés au regard de la capacité de remboursement de l’association peut également constituer un élément d’une faute de gestion.
Lorsqu’une association est en redressement ou en liquidation judiciaire, le tribunal peut condamner ses dirigeants à diverses sanctions personnelles, voire au comblement de l’insuffisance d’actif, s’ils ont commis certaines fautes au-delà d’une simple négligence. Il dispose d’une très large faculté d’appréciation et peut exonérer les dirigeants fautifs, partiellement ou en totalité, de la charge d’un comblement de passif en fonction de la gravité et du nombre de fautes commises et de leur patrimoine, mais aussi des critères économiques qui peuvent conduire à la défaillance de l’association et des risques inhérents à leur activité[16].
Pour se préserver de ces situations, la gouvernance doit consigner ses décisions dans des supports écrits justifiant qu’elle n’a pas agi inconsidérément, n’a pas négligé son rôle de contrôle, ni s’est désintéressée de la gestion de l’association.
Pierre Faucon, Expert-comptable, Associé GMBA Walter Allinial.
Article « Juridique » Jurisassociations, N°625, P.33, 1er Octobre 2020.
[1] Com. 17 mai 2017, no 15-22.068 ; Versailles, 18 janv. 2019, no 17/04463. [2] Paris, 9 févr. 2012, no 10/06608. [3] Riom, 12 oct. 2016, no 15/00968. [4] Cons. const., décis. no 2014-415 QPC du 26 sept. 2014. [5] C. civ., art. 1343-5. [6] Soc. 18 nov. 1992, no 91-40.596. [7] Soc. 3 mars 1994, no 90-15.524. [8] Ord. no 2016-131 du 10 févr. 2016, JO du 11, art. 3. [9] C. com., art. L. 611-3. [10] C. com., art. L. 611-4 et s. [11]C. com., art. L. 620-1 et s. [12] Sur le sujet, v. égal. dossier « Associations en difficulté – Péril en la demeure »,JA 2020, no 618, p. 16 [13] L. no 84-148 du 1er mars 1984, JO du 2, chap. V : « Dispositions applicables aux personnes morales de droit privé non commerçantes ayant une activité économique ». [14] C. com., art. L. 612-2, al. 1er et R. 612-3. [15] C. com., art. L. 612-2, 3 et 4. [16] Respectivement, C. com., art. L. 612-3, C. trav., art. L. 2312-63 et C. com., art. L. 611-2-1.