Les indemnités versées aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse

Points de vue d’expert | 8 novembre 2019

Barème d’indemnisation : quand pèse l’incertitude

Les indémnités versées aux salariés licenciés sans cause réelle et sérieuse étant imprévisibles en raison de leur absence de cadre, les entreprises sont freinées dans leurs intentions d’embauche. C’est sur ce présupposé qu’est née l’idée de plafonner ces indémnités. 

Depuis l’une des ordonnances Macron, les indemnités pour licenciement sans cause réelle et sérieuse peuvent encore varier en fonction du préjudice subi par le salarié, mais dans les limites encadrées d’un barème, constitué d’un plancher et d’un plafond dépendant de l’ancienneté du salarié et de la taille de la société.

La mise en place de ce barème, très contestée par certains conseils de prud’hommes qui y voient autant une limitation de leurs attributions qu’une violation du principe de proportionnalité entre la réparation et le préjudice subi, donne lieu depuis plusieurs mois à une bataille riche en rebondissements.

Mise en place du plafonnement

Le plafonnement des indemnités prud’homales n’est pas une idée nouvelle. En effet, avant la mise en place d’un barème spécifique en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse, plusieurs tentatives avaient été effectuées. Ainsi, la loi pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques du 6 août 2015, dite « loi Macron », contenait en son article 266 une mesure prévoyant que les indemnités dues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse devaient s’apprécier à la fois en fonction de l’ancienneté du salarié mais aussi en fonction de l’effectif de l’entreprise.

Cette disposition n’est pour autant jamais entrée en vigueur, le Conseil constitutionnel ayant jugé que le critère lié à l’effectif de l’entreprise était contraire au principe d’égalité devant la loi dans la mesure où il ne présentait pas de lien direct avec le préjudice subi par le salarié. Dans son projet initial, la loi El Khomri du 8 août 2016, dite « loi Travail », avait de nouveau tenté de plafonner les indemnités perçues en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Cette fois, les indemnités variaient selon l’ancienneté du salarié, en abandonnant le critère de la taille de l’entre prise – sauf pour les structures de moins de 11 collaborateurs afin de ne pas léser les plus petites d’entre elles, et étaient plafonnées à 15 mois de salaire.

Au final, devant l’opposition des syndicats, cette disposition ne figura pas au sein du projet final de la loi. Ce tableau avait d’ailleurs comme portée initiale une simple valeur d’information-consultation.  C’est finalement une des ordonnances Macron du 22 septembre 2017, entrée en vigueur le 24 septembre 2017, qui finit par encadrer par des plafonds et planchers l’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce tableau figure à l’article L. 1235-3 du code du travail et le montant oscille selon le nombre de salariés de l’entreprise et l’ancienneté du collaborateur. 

Une mesure contestée

Surfant sur la vague d’enthousiasme et d’adhésion post-présidentielle, la mesure n’avait alors pas soulevé la contestation populaire qu’avait pu connaître, en son temps, la loi El Khomri. Certains observateurs avaient en revanche pu douter de l’adhésion à cette disposition des conseils de prud’hommes, qui voyaient d’un mauvais oeil ce qu’ils considéraient non seulement comme une atteinte à leur liberté d’apprécier l’étendue du préjudice réel subi par le salarié, mais également comme un désaveu de leur capacité à l’indemniser de manière équilibrée.

De fait, si l’opinion publique s’est depuis largement divisée, entraînant les mouvements de contestation de ces derniers mois, les crispations ne se sont pas faites principalement autour de cette mesure.

Il n’en va pas de même des tribunaux. Si de nombreux conseils de prud’hommes ont choisi d’appliquer le barème, certains refusent et attribuent des indemnités supérieures au maximum prévu. L’argumentation générale a été de soutenir que les dispositions du code du travail fixant le barème sont contraires à plusieurs textes de loi :

  • l’article 6, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales imposant un procès équitable pour chacun ;
  • l’article 10 de la convention 158 de l’Organisation internationale du travail (OIT) énonçant notamment que l’indemnité versée doit être adéquate ou prendre une autre forme de réparation considérée comme étant appropriée ;
  • l’article 24 de la Charte sociale européenne consacrant lui aussi le droit au versement d’une indemnité adéquate ou une autre forme de réparation appropriée en cas de licenciement sans motif valable.

Le conseil de prud’hommes de Troyes, dans un jugement du 13 décembre 2018, a été le premier à s’affranchir de la mise en place de ce barème. Il n’est cependant pas le seul puisque de nombreux tribunaux ont ensuite choisi d’écarter la mise en place du barème, notamment les conseils de prud’hommes d’Amiens, de Grenoble ou encore de Bordeaux.

Ces premières décisions, prises en première instance et donc rendues par des juges non professionnels que sont les conseillers prud’homaux, n’avaient, dans un premier temps, pas inquiété outre mesure les observateurs qui n’y voyaient là qu’une résistance temporaire d’un corps restant somme toute très syndicalisé. Très rapidement toute fois, deux décisions prud’homales, rendues en bureau de départage et donc par le conseil de prud’hommes composé de conseillers non professionnels et d’un magistrat professionnel, sont venues confirmer ce refus d’appliquer les dispositions de l’ordonnance de 2017. Le motif avancé par ceux-ci était que la réparation du préjudice subi n’est pas intégrale avec l’application du barème Macron.

Dans le même temps, d’autres décisions, conformes au barème mis en place par l’ordonnance, venaient un peu plus semer la confusion dans l’esprit général. En ce sens, le bureau de départage du conseil de prud’hommes de Caen avait validé le barème en fin d’année 2018. Le conseil s’était alors basé sur la décision du Conseil constitutionnel rendue le 21 mars 2018. 

La position du Conseil d’État et du Conseil constitutionnel

Saisi par la Confédération générale du travail (CGT) d’une requête en référé-suspension contre l’ordonnance du 22 septembre 2017, le Conseil d’Etat a jugé que le barème ne violait pas l’article 10 de la convention n° 158 de l’OIT, ni l’article 6, paragraphe 1 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme.

À l’occasion de l’examen de la loi de ratification des ordonnances Macron, le Conseil constitutionnel avait déjà procédé à la vérification de la conformité du barème à la Constitution française. Il avait alors jugé le barème conforme à la Constitution.

La position du Ministère de la Justice

Le 26 février 2019, une circulaire du Ministère de la Justice était adressée aux procureurs généraux près des cours d’appel afin que le ministère public se porte partie jointe aux appels des jugements ayant écarté l’application du barème. Cette circulaire faisait notamment référence au fait que le barème avait préalablement été soumis au Conseil d’Etat et au Conseil constitutionnel, rappelant ainsi que ni l’article 10 de la convention 158 de l’OIT, ni l’article 24 de la Charte sociale européenne n’interdit aux États signataires de prévoir différents plafonds d’indemnisation en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse tant que le salarié obtient une indemnité adéquate ou une autre réparation appropriée.

La position de la Cour de cassation

La Cour de cassation a quant à elle été saisie par deux tribunaux : le conseil de prud’hommes de Louviers et celui de Toulouse, qui avaient tous deux refusé de se prononcer, souhaitant une unification instantanée de la jurisprudence.

Très attendue, la position de la cour de Cassation devait donc lever définitivement l’incertitude née de la tergiversation des juges du premier degré et donner une garantie jurisprudentielle aux procédures menées depuis l’entrée en vigueur des ordonnances. Réunie en formation plénière, elle a rendu un avis favorable aux ordonnances et sans réserve. Elle s’appuie sur l’article 10 de la convention 158 de l’OIT qui prévoit qu’à défaut de réintégration, le salarié licencié injustement a droit à une indemnité adéquate ou toute autre forme de réparation considérée comme appropriée.

Elle estime que le terme « adéquat » indiqué dans ce même article 10 doit être considéré en droit français comme étant un choix dont le juge dispose entre la réintégration du salarié ou son indemnisation dans certaines limites. Par ailleurs, elle a précisé que le barème Macron fixant une fourchette avec un plafond et un plancher d’indemnisation, cela permettait tout de même au juge de disposer d’une certaine évaluation lui permettant de fixer une indemnité adéquate et appropriée. En suivant l’avis de l’avocat général, la Cour a considéré que le barème était conforme aux dispositions précitées, semblant ainsi clore définitivement le débat.

Pour autant, certains conseils de prud’hommes ont estimé que l’avis rendu par la Cour de cassation ne constituait pas une décision sur le fond et ne relevait que d’un simple avis qu’il leur était loisible d’écarter. Ainsi, le conseil de prud’hommes de Grenoble – déjà au fait de la contestation début 2019 – rendait, dès le 22 juillet 2019, un jugement en départage contraire à l’avis de la Cour de cassation. Le 29 juillet dernier, c’est le conseil de prud’hommes de Troyes qui écartait de nouveau le plafonnement des indemnités prud’homales par un jugement en départage.

La situation n’est donc toujours pas réellement éclaircie et pénalise les entreprises en ce quelle rend incertaines les suites données aux procédures de licenciement quelles ont en cours ou quelles pourraient enclencher. est toutefois envisageable que les décisions précitées ne résistent pas aux juges du second degré ni à ceux de la Cour de cassation.

Deux cours d’appel, dans deux dossiers distincts, se sont ensuite prononcées. La cour d’appel de Reims a écarté l’application du barème en ouvrant une nouvelle voie : le juge doit vérifier que l’indemnisation allouée « ne porte pas une atteinte disproportionnée aux droits du salarié ». La cour d’appel de Paris a quant à elle appliqué le barème, mais n’exclut pas d’y déroger s’il est démontré que le plafond applicable à la situation du salarié ne lui permet pas d’obtenir une réparation considérée comme adéquate ou appropriée. Reste que, si la position des juges n’est pas unanime, les résistances éventuelles risquent de poser problème aux entreprises. Si une condamnation est assortie de l’exécution provisoire sur les indemnités pour licenciement injustifié, cela peut peser lourdement compte tenu de la lenteur des recours.

Force est de constater également que la mise en place du barème Macron avait aussi amplifié l’émergence de différends pour lesquels les indemnités échappent au plafonnement du barème Macron. En effet, le plafonnement ne s’applique pas dans les cas de licenciement nul. Tel est le cas en matière de harcèlement moral ou sexuel, de discrimination ou encore de violation d’une liberté fondamentale. Les entreprises sont donc aujourd’hui confrontées à ce double effet qui a tendance à quelque peu figer non seulement les relations, mais également les décisions. Il faut bien entendu relativiser et souligner l’effet positif que peut avoir le durcissement des décisions prises en sanctions de comportements répréhensibles. Reste qu’il est toujours délicat pour une entreprise de naviguer dans l’incertitude de l’application des textes, ce qui va dans le sens contraire du but initialement recherché par les ordonnances : « sécuriser », redonner de la confiance et lever certains freins à l’embauche. 

Charles-Émeric Le Roy pour Juris association